Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée (SAS) HGFI Saint-Martin a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de rétablir le déficit reportable de son exercice clos le 31 mars 2014 au montant qu’elle avait déclaré avant la rectification dont ce résultat a fait l’objet de la part de l’administration fiscale. Par un jugement n° 1606687 du 13 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20NC00094 du 17 juin 2021, la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté l’appel formé par la société HGFI Saint-Martin contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 août 2021, 17 novembre 2021 et 26 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société HGFI Saint-Martin demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. François-René Burnod, auditeur,
– les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société HGFI Saint-Martin ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 septembre 2022, présentée par la société HGFI Saint-Martin ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société HGFI Saint-Martin a émis le 1er juillet 2013 un emprunt obligataire d’une durée de dix ans, dont les obligations étaient convertibles en actions et portaient intérêts au taux de 12 %, dont le montant couru était capitalisé annuellement jusqu’à la date de remboursement ou de conversion, assorti, le cas échéant, d’une prime de non conversion au taux de 3 %. Cet emprunt a été souscrit par le fonds commun de placement à risque Gei, associé de la société émettrice à hauteur de 48,12 % de son capital, et la société anonyme Coframar, associée à hauteur de 4,77 %, au prorata de leurs participations respectives. A la suite d’une vérification de comptabilité de la société HGFI Saint-Martin portant sur la période du 1er juin 2013, date de création de la société, au 31 mars 2014, date de clôture de son premier exercice, l’administration fiscale a estimé que les intérêts au taux de 12 % ne pouvaient être admis en déduction des bénéfices de la société émettrice soumis à l’impôt sur les sociétés qu’à hauteur du montant résultant de l’application du taux prévu au 3° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, alors fixé à 2,82 %. Elle a en conséquence réintégré dans le résultat de l’exercice clos en 2014 la somme de 182 791 euros correspondant à la différence entre ce montant et celui qu’avait déduit la société HGFI Saint-Martin. Le litige qui en est résulté a été porté devant le tribunal administratif de Strasbourg. La société HGFI Saint-Martin se pourvoit contre l’arrêt du 17 juin 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté son appel contre le jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant au rétablissement du déficit reportable de son premier exercice au montant qu’elle avait déclaré.
2. D’une part, aux termes de l’article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l’impôt sur les sociétés par l’article 209 du même code : » 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment : / (…) 3° Les intérêts servis aux associés à raison des sommes qu’ils laissent ou mettent à la disposition de la société, en sus de leur part du capital, quelle que soit la forme de la société, dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans « . D’autre part, aux termes de l’article 212 du même code : » I. – Les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée, directement ou indirectement, au sens du 12 de l’article 39, sont déductibles : / a) Dans la limite de ceux calculés d’après le taux prévu au premier alinéa du 3° du 1 du même article 39 ou, s’ils sont supérieurs, d’après le taux que cette entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues ; (…) « . Le 12 de l’article 39 de ce code dispose que : » 12. Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises : / a- lorsque l’une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ; / b- lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre, dans les conditions définies au a, sous le contrôle d’une même tierce entreprise « .
3. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les intérêts afférents aux sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise qui en détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou qui est placée sous le contrôle d’une même tierce entreprise que la première, sont déductibles dans la limite de ceux calculés à un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit pour des prêts à taux variable aux entreprises d’une durée initiale supérieure à deux ans ou, s’il est plus élevé, au taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues. Le taux que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues s’entend, pour l’application de ces dispositions, du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. L’entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu’elle aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d’apporter cette preuve par tout moyen. Pour évaluer ce taux, elle peut le cas échéant tenir compte du rendement d’emprunts obligataires émanant d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables, lorsque de tels emprunts constituent, dans l’hypothèse considérée, une alternative réaliste à un financement intragroupe.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que, pour établir que le taux de 12 % des obligations convertibles en cause correspondait à la rémunération d’un financement dans des conditions de pleine concurrence, la société HGFI Saint-Martin s’est prévalue de dix opérations d’émissions d’obligations par des sociétés d’Europe de l’Ouest au risque comparable, sélectionnées dans une étude de la société PwC, dont il ressortait un taux médian de 11,91 %. La cour a relevé que ces sociétés avaient pour l’essentiel des notes inférieures à BB- sur l’échelle de l’agence de notation Standard et Poor’s, alors que la note attribuée par la même étude à la société HGFI Saint-Martin était celle de BB+. Elle en a déduit que, les comparables invoqués se rapportant à des sociétés ayant des notes de crédit plus défavorables que la sienne, la HGFI Saint-Martin ne justifiait pas du caractère de pleine concurrence du taux de 12 % en présentant un tel échantillon.
5. Il ressort également des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société HGFI Saint-Martin a fait valoir qu’une autre étude, réalisée par le cabinet Prad, avait mesuré son profil de risque sur une échelle de notation différente, celle de l’agence de notation Moody’s, et lui avait attribué la note B2. La cour a relevé que cette étude aboutissait à un résultat » identique à la note BB+ de Standard et Poors « . Elle s’est fondée sur ce constat d’équivalence des notes attribuées à la société HGFI Saint-Martin entre les deux études pour juger que la seconde ne permettait pas davantage que la première de reconnaître une valeur probante aux comparables invoqués par la requérante, qui se rapportaient à des entreprises moins bien notées qu’elle.
6. En statuant ainsi, alors que la comparaison des grilles respectives des deux agences de notation devait la conduire à constater que la note B2 sur l’échelle de l’agence Moody’s correspondait en réalité à une note inférieure de plusieurs degrés à la note BB+ sur l’échelle de l’agence Standard et Poor’s, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, que la société HGFI Saint-Martin est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
9. Il résulte de l’instruction que l’émission obligataire litigieuse a été entièrement souscrite par les investisseurs financiers de la société émettrice, soit le fonds commun de placement à risque Gei et la société anonyme Coframar, associés ensemble à hauteur de 52,89 % du capital de la société émettrice sans qu’aucun d’eux y soit seul majoritaire. Il ressort du pacte signé, concomitamment à la restructuration du groupe de la société HCL Maître Pierre, entre tous ses associés, et notamment de son article 2, que l’objet du pacte se limite à : » définir les modalités de détention et de transfert des titres de la société et assurer la stabilité de son actionnariat ; / définir les modalités de liquidation de la participation des parties ; / définir les obligations des parties ; / définir les droits d’information de l’investisseur financier « . Ni ce pacte ni aucune autre pièce du dossier – et notamment aucun accord qui conduirait à organiser une action de concert entre les investisseurs financiers, aux fins d’influencer la politique de la société ou d’y exercer un pouvoir de décision – ne permet d’établir que les investisseurs financiers, qui détiennent ensemble la majorité du capital social de la société émettrice, y exerceraient ensemble le pouvoir de décision au sens du 12 précité de l’article 39 du code général des impôts. Il suit de là que les dispositions de l’article 212 du même code ne sont pas applicables à l’espèce en tant qu’elles prévoient des dispositions plus favorables que celles du 3° du 1 de l’article 39.
10. Il résulte de ce qui précède que la société HGFI Saint-Martin n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 17 juin 2021 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la société HGFI Saint-Martin devant la cour administrative d’appel de Nancy est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société HGFI Saint-Marin au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée HGFI Saint-Martin et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
ECLI:FR:CECHR:2022:455655.20220920