Vu la procédure suivante :
M. B… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, au ministre de l’intérieur de délivrer à son épouse un visa numérique ou, à titre subsidiaire, d’enregistrer sa demande de visa, de lui délivrer une attestation de dépôt et d’instruire sa demande dans les 72 heures suivant la décision à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard.
Par une ordonnance n° 2109599 du 8 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 octobre et 12 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1971 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A… ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que M. A…, ressortissant afghan s’étant vu reconnaître la qualité de réfugié par décision du directeur de l’Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 6 décembre 2018 et titulaire d’une carte de résident, a engagé, le 11 décembre 2019, auprès du poste consulaire d’Islamabad, au Pakistan, une procédure en vue de l’obtention d’un visa pour son épouse, au titre du droit à la réunification de leur famille. Celle-ci n’ayant pu obtenir de rendez-vous pour l’enregistrement de sa demande, M. A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, au ministre de l’intérieur de délivrer à son épouse un visa numérique ou, à titre subsidiaire, d’enregistrer sa demande de visa, de lui délivrer une attestation de dépôt et d’instruire sa demande dans les 72 heures suivant la décision à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard. Il se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 8 septembre 2021 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / (…) « . Aux termes de l’article L. 521-3 du même code : » En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. » En raison du caractère subsidiaire du référé régi par l’article L. 521-3, le juge saisi sur ce fondement ne peut prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les articles L. 521-1 et L. 521-2.
Sur le cadre juridique applicable aux demandes de visas pour réunification familiale :
3. L’article L. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que : » Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, le ressortissant étranger qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est antérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile ; / 2° Par son concubin, âgé d’au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d’introduction de sa demande d’asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n’ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (…) « . Aux termes de l’article L. 561-4 du même code : » La réunification familiale n’est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. » Aux termes de l’article L. 561-5 du même code : » Les membres de la famille d’un réfugié ou d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d’entrée pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l’état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire (…) « .
4. En vertu de l’article R. 312-1 du même code, la personne qui sollicite la délivrance d’un visa est tenue de produire une photographie d’identité et de se prêter au relevé de ses empreintes digitales aux fins d’enregistrement dans le traitement automatisé mentionné au 1° l’article L. 142-1. Selon l’article R. 561-1 de ce code, la demande de réunification familiale est engagée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire et doit être déposée auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle ces personnes résident. L’article R. 561-2 prévoit que l’autorité diplomatique ou consulaire à qui sont communiqués les justificatifs d’identité et les preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire doit enregistrer les demandes de visa au réseau mondial des visas et délivrer sans délai une attestation de dépôt de ces demandes. Si elle estime nécessaire de procéder à la vérification d’actes d’état civil produits, elle doit effectuer ces vérifications dès le dépôt de la demande et en informer le demandeur.
5. Aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l’autorité consulaire serait tenue de recevoir l’étranger désireux d’obtenir un visa au titre de la réunification familiale. Notamment, les dispositions de l’article L. 561-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile énoncent seulement que les autorités diplomatiques et consulaires doivent statuer sur les demandes de visa de réunification » dans les meilleurs délais « .
6. Toutefois, le droit pour les réfugiés et titulaires de la protection subsidiaire de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants âgés de moins de dix-neuf ans implique que ceux-ci puissent solliciter et, sous réserve de motifs d’ordre public et à condition que leur lien de parenté soit établi, obtenir un visa d’entrée et de long séjour en France. Eu égard aux conséquences qu’emporte la délivrance d’un visa tant sur la situation du réfugié ou bénéficiaire de la protection subsidiaire que sur celle de son conjoint et ses enfants demeurés à l’étranger, notamment sur leur droit de mener une vie familiale normale, il incombe à l’autorité consulaire saisie d’une demande de visa au titre de la réunification familiale, accompagnée des justificatifs d’identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, de convoquer ces personnes afin de procéder, notamment, aux relevés de leurs empreintes digitales, puis à l’enregistrement de leurs demandes dans un délai raisonnable. Il incombe par conséquent aux autorités compétentes de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux membres des familles de réfugiés ou de bénéficiaires de la protection subsidiaire en France de faire enregistrer leurs demandes de visa dans un délai raisonnable.
Sur l’existence d’une décision susceptible de recours en l’absence de convocation :
7. Il résulte des dispositions citées au point 4, notamment de l’article R. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que la demande de visa ne peut être regardée comme effective qu’après son enregistrement par l’autorité consulaire. Lorsque, saisie d’une telle demande, l’autorité consulaire s’abstient de convoquer l’intéressé pendant deux mois, soit qu’elle conserve le silence soit qu’elle se borne à formuler une réponse d’attente, le demandeur peut déférer au juge de l’excès de pouvoir la décision implicite refusant de le convoquer. Celui-ci appréciera la légalité de cette décision au regard des circonstances prévalant à la date de sa décision et pourra, le cas échéant, constater que le litige a perdu son objet si l’intéressé a, en cours d’instance, obtenu un rendez-vous. S’il s’y croit fondé, l’intéressé peut assortir son recours en annulation d’une demande tendant à la suspension en référé de l’exécution de cette décision, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Dans ce cas, si les conditions posées par ces dispositions sont remplies, le juge des référés peut enjoindre à l’administration de proposer une date de rendez-vous.
Sur le pourvoi :
8. Pour estimer que la demande présentée par M. A… tendait à l’adoption de la même mesure que celle sollicitée auprès de l’administration et ayant donné lieu à une décision implicite de rejet à l’exécution de laquelle le juge des référés statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative est tenu de ne pas faire obstacle, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a retenu que le silence gardé par les autorités consulaires à Islamabad pendant plus de deux mois a fait naître une décision implicite de rejet de la demande de visa.
9. En statuant ainsi, alors qu’il ressort des pièces du dossier que l’épouse de M. A… n’a pas été convoquée par l’autorité consulaire en réponse au dépôt de sa demande de visa et alors que la demande de visa ne peut être regardée comme effective qu’après son enregistrement par l’autorité consulaire, le juge des référés a commis une erreur de droit.
10. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que lorsque l’autorité consulaire, saisie d’une demande de visa pour réunification familiale, s’abstient de convoquer le demandeur pendant deux mois, naît une décision implicite de refus de convoquer, dont il peut être demandé l’annulation et, le cas échéant, la suspension de l’exécution sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Eu égard au caractère subsidiaire de la procédure de référé prévue à l’article L. 521-3 du même code, ce motif, qui justifie le dispositif de l’ordonnance attaquée, doit être substitué au motif retenu par le juge des référés.
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le juge des référés aurait méconnu son office et commis une erreur de droit en rejetant la demande de M. A… alors que les mesures sollicitées étaient de nature à prévenir un péril grave ne peut qu’être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. A… doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. A… est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B… A… et au ministre de l’intérieur.
ECLI:FR:CECHR:2022:457936.20220609