Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 21/04/2022, 435539, Inédit au recueil Lebon

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association One Voice demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’agriculture et de l’alimentation du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du

Texte Intégral :
Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association One Voice demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’agriculture et de l’alimentation du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– l’arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
– l’arrêté du 26 novembre 2010 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 27 août 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont fixé les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations à l’interdiction de destruction de grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) peuvent être accordées par les préfets.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l’article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages :  » Sans préjudice des articles 7 et 9, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction : / a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ; / b) de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids (…) « . Aux termes de l’article 9 de la même directive :  » 1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci- après : / a) – dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique, / – dans l’intérêt de la sécurité aérienne, / – pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux, / – pour la protection de la faune et de la flore (…) « .

3. Aux termes de l’article L. 411-1 du code de l’environnement :  » I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (…) « . Aux termes de l’article L. 411-2 du même code :  » I. – Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (…) ainsi protégés ; / (…) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété (…) « . Aux termes de l’article R. 411-1 du même code :  » Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l’objet des interdictions définies par l’article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l’agriculture, soit, lorsqu’il s’agit d’espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes « . En vertu de l’article R. 411-6 de ce code :  » Les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont accordées par le préfet « . Enfin, aux termes de l’article R. 411-13 du même code :  » Les ministres chargés de la protection de la nature, de l’agriculture et le cas échéant des pêches maritimes fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : / (…) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement « .

4. En application des dispositions qui viennent d’être citées, le ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche ont pris, le 29 octobre 2009, un arrêté fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire, parmi lesquels figure le grand cormoran, ainsi que les modalités de leur protection. Par un arrêté du 26 novembre 2010, la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire ont fixé les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans afin de prévenir les dommages importants que ces oiseaux causent aux piscicultures ainsi que les risques que présente la prédation du grand cormoran pour les espèces de poissons protégées. Cet arrêté précise notamment les territoires dans lesquels des interventions peuvent être autorisées par les préfets de département ainsi que les périodes concernées, détermine les modalités d’exécution des opérations de destructions et prévoit, à son article 4, que, pour chaque campagne de prélèvements, le nombre de spécimens qui peuvent être détruits est limité par des quotas départementaux fixés par arrêté ministériel.

5. En application de ces dispositions, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont pris, le 27 août 2019, l’arrêté fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022, dont l’association requérante demande l’annulation.

Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué :

6. En premier lieu, aux termes de l’article L. 123-19-1 du même code :  » I. – Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (…) II – Sous réserve des dispositions de l’article L. 123-19-6, le projet d’une décision mentionnée au I, accompagné d’une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (…) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l’autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l’indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (…) « .

7. D’une part, il ressort des pièces du dossier que la note de présentation du projet d’arrêté indiquait, dans son objet, la finalité du projet d’arrêté, à savoir rendre possible le prélèvement d’un nombre donné de spécimens de grands cormorans afin de prévenir la prédation sur les poissons en pisciculture et relevant des espèces protégées en eaux libres, ainsi que le cadre juridique applicable au regard du droit européen et du droit interne tout en donnant un certain nombre d’indications sur la méthodologie retenue pour déterminer les quotas. Le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué aurait été pris au terme d’une procédure du fait de l’insuffisante précision de la note de présentation visée par l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement doit, par suite, être écarté. D’autre part, le défaut de publication de la synthèse des observations et propositions du public à la date de publication de l’arrêté attaqué est, par lui-même, sans incidence sur sa légalité.

8. En second lieu, la circonstance que le Conseil national de la protection de la nature, dont la consultation était obligatoire en vertu des dispositions citées plus haut, ait formulé, dans son avis du 19 juin 2019, des réserves sur les conditions dans lesquelles il a été amené à se prononcer n’est pas, par elle-même, de nature à entacher d’irrégularité cette consultation dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que le conseil national a eu préalablement connaissance du bilan des tirs de destruction de la période 2016-2019 ainsi que des demandes de quotas des directions départementales des territoires, a reçu, en séance, une information détaillée sur la méthodologie mise en œuvre et a estimé être en mesure d’émettre un avis négatif motivé sur le projet dont le caractère unanime, contrairement à ce que fait valoir l’association requérante, ne saurait avoir eu pour effet de lier l’autorité administrative.

Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :

9. Il résulte des dispositions mentionnées plus haut qu’il ne peut être légalement dérogé à l’interdiction de tuer intentionnellement les espèces d’oiseaux protégées visées par l’article 1er de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages que pour prévenir des dommages importants, notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation accordée ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle.

10. En premier lieu, si l’association requérante soulève, par la voie de l’exception, le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté du 26 novembre 2010 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans au motif qu’il méconnaîtrait les objectifs de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009, transposé par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, en n’en garantissant pas l’effet utile, il résulte des termes mêmes de cet arrêté que celui-ci précise notamment la nature des dommages importants susceptibles de justifier la mise en œuvre d’opérations de destruction dérogatoires, encadre le déroulement de ces opérations en définissant des territoires d’intervention et en fixant les périodes autorisées, pose le principe de quotas départementaux de prélèvement, prescrit les modalités d’exécution détaillées des opérations de destruction et prévoit la transmission par les préfets d’un bilan annuel des opérations aux ministres compétents. Dès lors, le moyen tiré, par la voie de l’exception, de l’illégalité de l’arrêté du 26 novembre 2010 au regard des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement doit être écarté.

11. En deuxième lieu, d’une part, l’arrêté attaqué se borne à fixer des plafonds annuels de destructions de spécimens pendant la période 2019-2022 par département. Il appartiendra aux préfets d’apprécier, en fonction des circonstances locales, si des autorisations de destruction peuvent être accordées, en s’assurant que les conditions posées par l’article L. 411-2 du code de l’environnement et par l’arrêté du 26 novembre 2010 sont remplies, en vérifiant notamment qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante.

12. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que le quota annuel total de destructions fixé par l’arrêté attaqué, qui s’élève à 50 283 spécimens à l’échelle de l’ensemble du territoire, serait de nature à nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, de la population de grands cormorans dans son aire de répartition naturelle dès lors qu’il ressort au contraire des pièces du dossier, et notamment des rapports annuels du coordonnateur national pour le suivi de cet oiseau pour 2018 et 2019, que sa population globale est assez importante, stable et même en légère augmentation au cours des dernières années, alors même que les précédents arrêtés avaient fixé les quotas de destruction à un niveau comparable à celui de l’arrêté attaqué.

13. Enfin, s’il n’est pas contesté qu’un risque de confusion existe entre le Phalacrocorax carbo sinensis et le Phalacrocorax carbo carbo, espèce particulièrement vulnérable pour laquelle aucune destruction ne peut être autorisée, il ressort des pièces du dossier que l’arrêté attaqué fixe, pour les départements du Morbihan, d’Ille-et-Villaine et du Finistère, qui sont ceux dans lesquels ces deux espèces sont présentes, des quotas annuels de destruction très bas, la solution alternative des effarouchements y étant, en dépit de sa moindre efficacité supposée, privilégiée. De même, le risque d’atteinte aux cormorans nicheurs, qu’invoque l’association requérante, apparaît limité dès lors que la période autorisée pour les destructions, telle qu’elle résulte de l’article 3 de l’arrêté du 26 novembre 2010, ne correspond pas à la période de reproduction de cette espèce et que la faculté, laissée à l’appréciation des préfets par l’article 13 de ce même arrêté, de prolonger certaines interventions au-delà de la date limite est réservée à des cas limités.

14. Il résulte de ce qui précède que les quotas fixés par l’arrêté attaqué ne méconnaissent pas les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement.

15. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été indiqué plus haut que, eu égard à la période d’intervention retenue par l’arrêté du 26 novembre 2010, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué méconnaîtrait les objectifs des articles 7 et 9 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages au motif qu’il permettrait la chasse des grands cormorans hivernant en France pendant leur période de reproduction ainsi que lors de leur trajet de retour vers leur lieu de nidification doit, en tout état de cause, être écarté.

16. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué serait de nature à méconnaître le principe de précaution n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

17. Il résulte de tout ce qui précède que l’association One Voice n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté qu’elle attaque. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La requête de l’association One Voice est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association One Voice, à la ministre de la transition écologique et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Délibéré à l’issue de la séance du 23 mars 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. B… H…, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. L… E…, Mme G… K…, M. F… I…, M. A… J…, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d’Etat et M. Bruno Bachini, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 avril 2022.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme D… C…

ECLI:FR:CECHR:2022:435539.20220421

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