Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 453326, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 juin 2021 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B… A… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020 ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre d’abroger ces dispositions ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : » Les articles 15 et 18 de l’accord de retrait signé le 31 janvier 2020 par l’Union européenne et le Royaume-Uni doivent-ils être interprétés en ce sens que les citoyens britanniques qui disposaient d’un droit au séjour permanent sans limitation de durée sous le couvert de l’article 16 de la directive n° 2004/38 du 29 avril 2020 ne disposeraient plus que d’un droit au séjour permanent limité à une durée de dix ans, créant ainsi une discrimination fondée sur la nationalité lors du renouvellement de leur titre de séjour en application de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ‘ » ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 456678, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 septembre 2021 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association EUBritizens demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020 ;
2°) d’enjoindre au Premier ministre d’abroger ces dispositions ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : » Les articles 15 et 18 de l’accord de retrait signé le 31 janvier 2020 par l’Union européenne et le Royaume-Uni doivent-ils être interprétés en ce sens que les citoyens britanniques qui disposaient d’un droit au séjour permanent sans limitation de durée sous le couvert de l’article 16 de la directive n° 2004/38 du 29 avril 2020 ne disposeraient plus que d’un droit au séjour permanent limité à une durée de dix ans, créant ainsi une discrimination fondée sur la nationalité lors du renouvellement de leur titre de séjour en application de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ‘ » ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
– la Constitution ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le traité sur l’Union européenne ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;
– l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique ;
– la directive 2004/38/CE du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 ;
– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. Mme B… A… et l’association EUBritizens ont demandé au Premier ministre l’abrogation du décret du 19 novembre 2020 concernant l’entrée, le séjour, l’activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Elles demandent l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande, par des requêtes dirigées contre la même décision, qu’il y a dès lors lieu de joindre pour y statuer par une seule décision.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. Aux termes de l’article 50 du traité sur l’Union européenne » 1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. / 2. L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen. / 3. Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai (…) » Aux termes du paragraphe 1 de l’article 20 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. « .
3. A la suite de la notification, conformément aux stipulations du paragraphe 2 de l’article 50 cité ci-dessus, par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, de sa décision de quitter l’Union européenne, a été négocié et conclu le 17 octobre 2019 un accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, dans les conditions définies par les mêmes stipulations. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 15 de cet accord : » Les citoyens de l’Union et les ressortissants du Royaume-Uni, ainsi que les membres de leur famille respective, qui ont séjourné légalement dans l’État d’accueil conformément au droit de l’Union pendant une période ininterrompue de cinq ans ou pendant la période indiquée à l’Article 17 de la directive 2004/38/CE, acquièrent le droit de séjourner de manière permanente dans l’État d’accueil dans les conditions énoncées aux Articles 16, 17 et 18 de la directive 2004/38/CE. Les périodes de séjour légal ou d’activité conformément au droit de l’Union avant et après la fin de la période de transition sont prises en compte dans le calcul de la période nécessaire à l’acquisition du droit de séjour permanent. » Aux termes du paragraphe 1 de l’article 18 du même accord : » L’État d’accueil peut exiger des citoyens de l’Union ou des ressortissants du Royaume-Uni, des membres de leur famille respective et des autres personnes qui résident sur son territoire dans les conditions énoncées au présent titre, qu’ils demandent un nouveau statut de résident qui leur confère les droits prévus au présent titre et un document attestant ce statut, qui peut être sous forme numérique. « .
Sur la légalité de la décision attaquée :
4. En premier lieu, il résulte clairement, d’une part, des stipulations précitées de l’article 20 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne que la qualité de citoyen européen, qui s’ajoute à la citoyenneté nationale sans s’y substituer, est attachée à la qualité de ressortissant d’un Etat membre de l’Union, d’autre part, des stipulations précitées de l’article 50 du traité sur l’Union européenne que les traités cessent d’être applicables à l’État membre se retirant de l’Union, à la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait de cet Etat ou, à défaut, à compter d’un certain délai. Il en résulte que la perte de la citoyenneté européenne par les ressortissants du Royaume-Uni est la conséquence non du contenu de l’accord de retrait mais de l’entrée en vigueur de cet accord. Par suite, les requérantes ne peuvent utilement soutenir, à l’appui de leur requête, que l’accord sur le fondement duquel le décret litigieux a été édicté, qui se borne à fixer les modalités du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, aurait privé les ressortissants britanniques de la citoyenneté européenne et serait ainsi contraire aux principes et obligations communautaires et internationaux qu’elles invoquent.
5. En deuxième lieu, les dispositions du décret attaqué prévoient, sur le fondement de l’article 18 de l’accord de retrait permettant aux Etats membre d’exiger des ressortissants britanniques qu’ils demandent un document attestant de leur nouveau statut de résident, qu’un titre de séjour d’une durée de validité de dix ans portant la mention » Séjour permanent – Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE » est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques remplissant les conditions qu’il énumère, et que ce titre de séjour est renouvelé de plein droit sauf si la présence du demandeur constitue une menace pour l’ordre public. Ces dispositions, qui se bornent à préciser les modalités d’octroi et de délivrance du titre dont la délivrance est prévue par l’accord, n’ont pas empiété sur les compétences que l’article 34 de la Constitution réserve au législateur. Elles n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter à dix ans le droit au séjour permanent que les ressortissants britanniques qui ont séjourné légalement dans l’État d’accueil conformément au droit de l’Union pendant une période ininterrompue de cinq ans ou pendant la période indiquée à l’article 17 de la directive 2004/38/CE relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et séjourner librement sur le territoire des Etats membres tirent des stipulations de l’article 15 de l’accord, ce droit étant matérialisé par la délivrance d’un titre de séjour d’une durée de dix ans renouvelable de plein droit sauf si la présence de l’étranger en France représente une menace pour l’ordre public. Dès lors, sans qu’il soit besoin de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, les moyens tirés de ce que les dispositions du décret attaqué auraient, en prévoyant la délivrance d’un titre de séjour d’une durée de dix ans, méconnu les stipulations des articles 15 et 18 de l’accord de retrait ne peuvent qu’être écartés.
6. Les requérantes soutiennent, en troisième lieu, que les dispositions du décret litigieux limitant à dix ans la validité du titre de séjour portant la mention » Séjour permanent – Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE » créent une discrimination entre les ressortissants britanniques titulaires de ce titre et les autres étrangers titulaires des titres ouvrant droit, aux termes de l’article L. 426-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à l’obtention d’une carte de résident permanent à durée indéterminée.
7. Toutefois, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l’article 12 de l’accord de retrait ne concerne que les situations relevant du champ d’application de l’accord et le principe identique énoncé à l’article 18 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi qu’à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne concerne que les situations relevant du champ d’application du traité. Ainsi, si ces principes trouvent à s’appliquer respectivement en cas de discriminations subies par un ressortissant britannique par rapport à un ressortissant d’un Etat membre et par un ressortissant d’un Etat membre par rapport au ressortissant d’un autre Etat membre, ils n’ont pas vocation à s’appliquer aux éventuelles différences de traitement entre les ressortissants britanniques et ceux des pays tiers, qui se trouvent dans des situations juridiques différentes. Les requérantes ne peuvent pas davantage utilement se prévaloir des seules stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de la violation du principe de non-discrimination selon la nationalité et du principe d’égalité ne peuvent qu’être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mme A… et de l’association EUBritizens sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B… A…, à l’association EUBritizens et au ministre de l’intérieur.
ECLI:FR:CECHR:2022:453326.20220322