Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mars 2019 et 24 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC) et le syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet (SNEFID) demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté interministériel du 4 janvier 2019 portant modification du cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers en application des articles L. 541-10 et R. 543-53 à R. 543-65 du code de l’environnement ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le code de l’environnement ;
– le code de commerce ;
– l’arrêté du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d’agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers en application des articles L. 541-10 et R. 543-53 à R. 543-65 du code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Bruno Bachini, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, pour l’application du principe de responsabilité élargie du producteur, l’article L. 541-10 du code de l’environnement prévoit que les personnes, physiques ou morales, qui élaborent, fabriquent, manipulent, traitent, vendent ou importent des produits générateurs de déchets peuvent s’acquitter de leur obligation en matière de traitement de ces déchets en la transférant à des éco-organismes agréés auxquels ils versent, en contrepartie, une contribution financière. S’agissant des déchets résultant de l’abandon des emballages ménagers, définis aux articles R. 543-53 et suivants du même code, l’obligation de traitement de ces déchets a été transférée par les producteurs, importateurs et distributeurs d’emballages ménagers à des éco-organismes agréés, en contrepartie de contributions financières qui sont ensuite pour partie reversées aux collectivités territoriales, sous forme de soutiens financiers, compte tenu des obligations légales qui pèsent sur ces dernières, en vertu de l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales, s’agissant de la collecte, du tri et du traitement des déchets ménagers. Conformément au II de l’article L. 541-10, un arrêté interministériel du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d’agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets d’emballages ménagers fixe, pour la période 2018-2022, le cahier des charges de la filière des déchets d’emballages ménagers : il définit notamment les modalités techniques et financières de prise en charge de ces déchets en offrant aux collectivités concernées trois options de reprise de ces déchets, en vue de leur traitement, soit par des filières de matériaux et d’emballage ou des fédérations (options 1 et 2), soit par un opérateur individuel qu’elles choisissent elles-mêmes (option 3). L’arrêté interministériel du 4 janvier 2019 attaqué modifie ce cahier des charges, notamment en y introduisant, uniquement pour certains déchets correspondant à un nouveau standard qu’il précise, une quatrième option (dite de » reprise directe « ) dans laquelle c’est l’éco-organisme qui reprend directement à sa charge ces déchets en vue de leur traitement. La fédération des entreprises du recyclage et le syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet demandent l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté du 4 janvier 2019.
2. Le cahier des charges annexé à l’arrêté du 29 novembre 2016, dans sa version issue de l’arrêté attaqué, précise notamment, à son point VI.4 relatif aux différentes options de reprise et de recyclage des déchets de cette filière, la nouvelle option, dite » option 4 « , s’appliquant au standard de déchets dit » flux développement « , qui concerne certains déchets d’emballages, défini à l’annexe VIII, au titre de laquelle l’éco-organisme agréé » propose aux collectivités de reprendre, lui-même et à sa charge, les déchets d’emballages ménagers en garantissant aux collectivités une reprise, en toutes circonstances et selon le principe de solidarité « . Le point VI.5 du cahier des charges modifié, relatif aux modalités contractuelles dans le cadre des options de reprise, dispose par ailleurs, s’agissant des conventions conclues au titre des options 1 et 2, que lorsque l’éco-organisme agréé » reprend un standard dans le cadre de l’option 4, celui-ci peut être exclu de la présente convention « . Enfin, il est prévu, à l’annexe VIII du cahier des charges modifié, relative aux standards éligibles aux soutiens à la tonne par matériaux, s’agissant du standard » flux développement » pour lequel le titulaire » met en œuvre les actions nécessaires afin de recycler au moins 92 % de l’ensemble des tonnes conformes au standard flux développement « , que » par dérogation aux conditions d’éligibilité des soutiens financiers au titre du recyclage (…), les tonnages d’emballages triés conformes au standard précité sont réputés recyclés à hauteur d’au moins 92 % de la masse totale des matériaux qui le constituent et soutenus à ce titre par le titulaire au barème défini à l’annexe V, quel qu’en soit le niveau de recyclage effectif « .
3. Eu égard aux moyens qu’elle soulève, la requête de la fédération des entreprises du recyclage et du syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet doit être regardée comme ne tendant à l’annulation de l’arrêté attaqué qu’en tant qu’il a introduit ces nouvelles dispositions.
4. En premier lieu, aux termes de l’article L. 462-2 du code de commerce : » l’Autorité de la concurrence est obligatoirement consultée par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : / 1° De soumettre l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives ; / 2° D’établir des droits exclusifs dans certaines zones ; / 3° D’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente « .
5. Les dispositions attaquées, qui ne soumettent pas le marché de la reprise des déchets d’emballages ménagers à des restrictions quantitatives, n’ont pas pour effet de créer des droits exclusifs en faveur de la société CITEO, éco-organisme agréé issu de la fusion, en 2017, de deux éco-organismes, » Eco-emballages » et » Adelphe « , qui avaient été agréés pour la période 2018-2022 par arrêté du 5 mai 2017 en application de l’article R. 543-58 du code de l’environnement alors en vigueur, pour assurer la reprise des déchets d’emballages ménagers relevant du standard » flux développement « , et n’ont pas davantage pour effet d’imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente. Par suite, elles ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme relevant du champ d’application des dispositions précitées de l’article L. 462-2 du code de commerce. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué aurait dû, en application de ces dispositions, être précédé de la consultation de l’Autorité de la concurrence ne peut qu’être écarté.
6. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que l’arrêté attaqué serait entaché d’illégalité au motif que, contrairement à ce que prévoit l’article 2 de cet arrêté, son annexe modificative n’aurait pas été publiée au bulletin officiel du ministère de la transition écologique et solidaire, il ressort des pièces du dossier que cette publication a eu lieu le 25 avril 2019. Ce moyen ne peut dès lors, en tout état de cause, qu’être écarté comme manquant en fait.
7. En troisième lieu, les dispositions introduites par l’arrêté attaqué, en vertu desquelles l’éco-organisme agréé peut, s’agissant du standard » flux développement « , proposer aux collectivités de reprendre lui-même les déchets d’emballages ménagers, en leur garantissant une reprise en toutes circonstances et selon le principe de solidarité, n’ont ni pour objet ni pour effet de le mettre en concurrence avec les opérateurs des filières et fédérations sur le marché du recyclage et de la valorisation des déchets issus du » flux développement « , mais visent seulement à lui transférer la responsabilité de détenteur de ces déchets, qualité au titre de laquelle il lui appartient, conformément aux dispositions de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, d’en faire assurer le traitement en faisant appel aux opérateurs qu’il sélectionne. Dès lors que l’éco-organisme n’intervient pas en tant qu’opérateur sur le marché du recyclage et de la valorisation de ces déchets, les moyens tirés de ce que l’arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de la liberté d’entreprendre des opérateurs sur ce marché et le principe de libre concurrence ne peuvent qu’être écartés, comme ceux tirés de la méconnaissance des articles 102 et 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article L. 420-2 du code de commerce.
8. En quatrième lieu, les dispositions attaquées laissent les collectivités territoriales libres de choisir d’adopter ou non le modèle de tri » à deux standards » incluant le standard » flux développement » pour les déchets de certains emballages ménagers et, le cas échéant, de choisir entre les différentes options de reprise prévues. En particulier, il leur demeure loisible de sélectionner elles-mêmes un repreneur pour le recyclage et la valorisation de ces déchets dans le cadre de l’option 3 mentionnée plus haut. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.
9. En cinquième lieu, les dispositions attaquées de l’arrêté litigieux n’ont pas pour effet d’affecter les situations contractuelles en cours entre les collectivités territoriales et les opérateurs. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique ne peut qu’être écarté.
10. Enfin, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération des entreprises du recyclage et le syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet ne sont pas fondés à demander l’annulation des dispositions qu’ils attaquent.
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Ces dispositions font également obstacle à ce qu’une somme soit versée à ce titre à la société CITEO qui, n’ayant été appelée en la cause que pour produire des observations, n’est pas partie à la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la fédération des entreprises du recyclage et du syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société CITEO présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la fédération des entreprises du recyclage, au syndicat national des entrepreneurs de la filière déchet, à la ministre de la transition écologique, au ministre de l’économie, des finances et de la relance, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la société CITEO.
Délibéré à l’issue de la séance du 13 décembre 2021 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. A… G…, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; Mme L… I…, M. K… B…, Mme D… J…, M. C… H…, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d’Etat et M. Bruno Bachini, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 30 décembre 2021.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Bruno Bachini
La secrétaire :
Signé : Mme E… F…
ECLI:FR:CECHR:2021:429070.20211230